Sculptures de sable - Patrick Gibon

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JiDé
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Sculptures de sable - Patrick Gibon

Message par JiDé » jeu. 11 juil. 2019 21:30

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Sculptures de sable


La mer était calme, en apparence. Le soleil bien que légèrement voilé par une brume diaphane de nuages blancs dardait une douce chaleur et le vent léger donnait une agréable sensation de fraîcheur.

Elle était allongée sur une serviette de bain, lisant tranquillement sous un parasol. L'enfant jouait à ses côtés, les yeux parfois perdus vers l'immensité de l'océan puis de nouveau brusquement concentré sur son ouvrage. Il sculptait dans le sable humide d'étranges figures marines, des étoiles de mer dragon, des poissons écailleux aux nageoires démesurées, des hippocampes aux formes soigneusement ciselées, enroulées sur elles-mêmes et il pensait déjà à son œuvre magistrale, un orque menaçant aux dents nacrées et acérées en coquillages soigneusement sélectionnés sur la plage. La femme ne prêtait guère attention aux jeux bizarres de l'enfant dont elle connaissait la prédilection pour les figures fantasques et seule l'intrigue de son thriller la passionnait pour le moment.

La mer était calme, mais issue parfois de l'horizon une vague énorme venait à se briser violemment, lançant des gerbes d'écume qui les éclaboussaient. La plage était déserte. Un homme surgit de nulle part, s'approcha en poussant sa petite voiture à bras, leur proposant des glaces. L'enfant leva à peine les yeux, tendit la main et pendant que la femme payait l'achat, était déjà affairé sur son orque, réglant le sort du sorbet en un temps record. L'homme s'éloigna puis disparut presque instantanément, absorbé par une dune broussailleuse.

Ils prirent leur pique-nique et quand il eurent terminé, l'enfant ramassa les os de poulet et fit mine de les enterrer. La femme furieuse lui bloqua le bras :
— On n'enterre jamais les os dans le sable, c'est une insulte à la déesse de la mer, un chien affamé pourrait passer par là, lâcha-t-elle péremptoire.
— Mais il n'y a même pas un chat, rétorqua l'enfant qui ne manquait pas d'humour pour son âge.
Au même instant de la dune surgit un long chien jaune étique qui s'approcha nonchalamment tandis qu'une énorme vague se fracassait à leurs côtés et emporta la serviette de la femme. Elle eut cependant le réflexe de sauver son livre des eaux. Le chien aboya, fit demi-tour effrayé puis se fondit derrière les dunes. Les deux se regardèrent sans mot dire. Les yeux noirs de l'enfant transpercèrent l'âme de la femme. Elle se rallongea comme si de rien n'était et reprit la lecture de son livre tandis que l'enfant contemplait l'ampleur du désastre. Plus rien. Son œuvre était anéantie par la faute de sa mère. Il s'assit, laissant son regard mélancolique divaguer à l'horizon.

Soudain il s'écria :
— Maman, maman, là-bas au loin il y a quelqu'un, il agite les bras.
Interloquée la femme se releva précipitamment, mit une de ses mains au-dessus des sourcils pour mieux voir et balaya d'un regard scrutateur l'horizon écumant.
— Non, il n'y a rien et d'abord personne ne nage par ici, la mer est beaucoup trop dangereuse, trop de tourbillons mortels et tout le monde le sait, lança-t-elle d'un ton sentencieux.
— Si, si, regarde mieux, là-bas, et il pointa le doigt vers un endroit précis.
Elle regarda à nouveau, sans conviction. Le verdict tomba.
— Il n'y a personne, ça suffit comme ça, tu m'ennuies avec ton imagination débordante.
Elle se replongea dans son livre.

L'enfant se leva d'un bond et courut droit vers la mer en hurlant qu'il allait le sauver. Le temps qu'elle réagisse il était déjà dans l'eau, porté par une grande vague et nageait furieusement vers le large. Elle se lança immédiatement à sa poursuite en lui criant de revenir mais rien n'y fit, il était bien meilleur nageur qu'elle et avait pris une bonne avance.

L'enfant jeta un coup d'œil derrière lui. Une fois qu'il fut assuré que sa mère le suivait, il dévia insensiblement sa course vers tribord. Sa mère le suivait toujours. Il vira brusquement vers bâbord. Il connaissait parfaitement les courants pour avoir de nombreuses fois expérimenté des écoles buissonnières dans les parages. La femme légèrement décalée vers le bord tenta de le suivre mais resta subitement figée sur place, interloquée. Elle pagaya en vain pour se dégager de la baïne, puis tournoya sur elle-même comme un désolant manège incontrôlé. L'enfant lui sourit. Elle le regarda les yeux révulsés, sans un mot, avant d'être entraînée par le fond.

L'enfant revint tranquillement vers la plage, jeta un dernier coup d'œil vers le large et constatant qu'il n'y avait personne, déguerpit en abandonnant le thriller inachevé.

Il lui faudrait, une fois de plus, retrouver une nouvelle mère d'adoption plus compréhensive ; celle-là comme les précédentes n'avait vraiment pas été à la hauteur de ses ambitions.
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Re: Sculptures de sable - Patrick Gibon

Message par Zaphale » jeu. 11 juil. 2019 22:04

:bienfait: :bien:
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xs4u, ben dis toi que même si on oublie un cœur, on t'aime quand même et si tu en oublies, on t'en voudra pas :lapbisous:
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